Volet 2 - Signaux immunitaires, expression du génome et gardiens nutritionnels
Dans le précédent volet de cet article, traitant du système immunitaire faible, mon objectif était d’attirer l’attention sur les racines biologiques et sociologiques de l’émergence de risques infectieux ainsi que de l’épidémie de maladies chroniques.
Dans les 2 situations, il faut désormais composer avec une sorte d’adaptation « maladroite » de notre système immunitaire à son environnement.
Combien de fois avez-vous été tentés (et incités) par des supplémentations visant à stimuler une fonction en perte de vitesse ? Sur le plan microbiologique, en cas d’infections persistantes ? En cas de climat hormonal défaillant lors d’hypothyroïdie, ou encore sur le plan métabolique en cas d’insulinorésistance ?
Cette stratégie, si elle est justifiée, arrive parfois de façon anticipée et, même si elle conduit à une amélioration, cette dernière n’est souvent que provisoire ou, pire, peut masquer une détérioration de la fonction comme dans le cas des thyroïdites.
Dans ce volet, je vous propose de plonger encore plus loin dans le fonctionnement de la réponse immunitaire, au cœur du génome afin de rediriger de façon durable une réponse immunitaire devenue déviante.
Je vous propose de revenir sur 4 nutriments, à la fois gardiens et acteurs de la « reprogrammation génomique » nécessaire à la bonne amplitude et au bon tempo de la musique immuno-inflammatoire. Et peut-être de les considérer sous un nouveau jour…
Nous aborderons donc dans ce deuxième volet :
En quoi la partition du système immunitaire dysfonctionne-t-elle aujourd’hui ? Quelles sont les voies de signalisation activées par la perception des différents signaux ?
Dans quelles mesures le chef d’orchestre, notre génome, adapte-t-il son expression aux dissonances perçues (perception des molécules de signalisation et transduction du signal) ?
Par quels mécanismes et sous quelles formes, les vitamines A et D, le zinc et le sélénium sont-ils indispensables à l’harmonie de la réponse immunitaire ?
SOMMAIRE
RÉPONSE IMMUNITAIRE INADAPTÉE : EN QUOI LE SYSTEME IMMUNITAIRE DYSFONCTIONNE-T-IL AUJOURD’HUI ?
Le système immunitaire d’un organisme vivant a pour mission première le maintien de son intégrité.
Sa fonction dépend donc :
De la perception de « signaux danger » par des cellules spécialisées au niveau d'interfaces et leur traduction en biosignatures ;
De la transduction de ce message à notre ordinateur central, le génome. De son expression dépendra la synthèse de protéines utiles à la mise en place de mécanismes de défense dont l’inflammation est la pierre angulaire ;
De la perception de nouveaux « signaux stop », sous forme de nouvelles molécules de signalisation ;
De la transduction de ce message au génome, qui lancera la production de protéines en charge de la résolution et la réparation, puisque l’objectif principal demeure le maintien de l’intégrité !
Une grande communication est nécessaire au bon déroulé de la fonction immunitaire via une multitude de médiateurs peptidiques, lipidiques, oxydatifs, issus des cellules des réponses innée et lymphocytaire.
Ce beau mécanisme connaît bien des grains de sable aujourd’hui amenant à ce nouveau paradigme d’un système immunitaire inné comme bloqué sur le bouton « on », littéralement reprogrammé au niveau de l’expression génomique par :
Un excès de « signaux danger » exogènes (chimiques, alimentaires, médicamenteux) ;
La persistance voire l’amplification du signal dues à la baisse des défenses immunitaires (infections persistantes, perte d’intégrité des barrières, défaut de différenciation cellulaire), ou non résolution de l’état inflammatoire antérieur ;
Les tentatives d’adaptation de l’organisme vis-à-vis d’un état métabolique à la signature « inflammatoire ».
Dès lors, face à ce mauvais ajustement dans la chaîne de production du couple défense/reconstruction, des conséquences physiopathologiques peuvent apparaître à distance du phénomène aigu, en lien avec :
La division cellulaire (état prolifératif ou apoptose cellulaire et mitochondriale conduisant à l’hypoxie, fibrose, etc.) ;
Le compartiment vasculaire (agrégation plaquettaire, vasodilation/constriction, athérosclérose, etc.) ;
La régulation du métabolisme glucidique et lipidique (adipogénèse, oxydation des acides gras, anomalies de régulation du métabolisme du glucose, etc.).
Ces perturbations d’amplitude et/ou de chronologie de la réponse immunitaire aboutissent à un véritable cercle vicieux qui reste modulable dans la limite de susceptibilités génétiques individuelles non monogéniques.
RÉPONSE IMMUNITAIRE ET SIGNAUX "DANGER" : LE DÉFI DE LA REGULATION
Les signaux perçus par le système immunitaire peuvent être d’origine endogène ou exogène, de nature biologique ou chimique.
Suite à la perception du signal, des biosignatures spécifiques des interfaces activées, informent en temps réel le génome sur la direction transcriptionnelle à prendre en termes de synthèse des protéines nécessaires à la défense/résolution/réparation.
Biosignatures spécifiques, médiateurs de la réponse induite mais également d'autres molécules de signalisation de nature neuroendocrine se cumulent donnant lieu à une réponse immuntaire efficace et modulée (avec résolution) ou au contraire participent à l'entretien ou l'amplification d'une réponse immunitaire inadaptée.
Les récepteurs des molécules de signalisation peuvent être membranaires/cytosoliques ou des récepteurs nucléaires.
La transduction du signal nécessite ensuite des voies de signalisation et l’activation de facteurs de transcription.
Je vous propose de faire un zoom sur les principales voies d’activation de la réponse immuno-inflammatoire :
Récepteurs membranaires et intracytosoliques en lien avec le facteur de transcription NF-kB :
Des récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires (PRR, NLRP / informations d’ordre microbiologique ou de dégâts cellulaires) ;
Des canaux ioniques (TRP / informations d’ordre physique, électrolytique ou neurochimique) ;
Des récepteurs associés aux voies des Kinases (informations liées à l’état métabolique et hormonal) ;
Récepteurs nucléaires notamment métaboliques (PPARs, LXR, FXR).
Activation du facteur de transcription NF-kB
Le facteur de transcription NF-kB est le facteur de transcription ubiquitaire et majeur de l’inflammation, pivot dans l’activation des gènes codant pour les cytokines pro-inflammatoires comme l’IL-1β et le TNFα, les molécules d’adhésion, la NOS inductible, la COX-2, ainsi que les métalloprotéases.
De nombreuses voies de signalisation aboutissent à son activation/inhibition ou interagissent avec lui.
PRR et informations d’ordre microbiologique
Des récepteurs de l’immunité innée appelés PRRs (Pattern Recognition Receptors) garnissent la plupart des cellules immunitaires sentinelles résidant dans les tissus.
Les PRRs notamment les TLR Toll-like Receptors, abondants dans la muqueuse intestinale réagissent aux motifs microbiens pathogéniques conservés appelés PAMPs (Pathogen associated molecular patterns).
Ces molécules peuvent être des ARN viraux, des mannanes fongiques ou encore des LPS bactériens.
Afin de renforcer l’identification d’un danger, qu’il soit étranger ou non, les PRRs et notamment les NLR Nucleotide-binding oligomerisation domain proteins ou récepteurs NOD, abondants dans les cellules épithéliales, sont sensibles aux motifs moléculaires associés aux dégâts cellulaires appelés DAMPs (Danger associated molecular patterns).
Ces molécules peuvent être des nucléotides (d’origine virale ou tumorale), des protéines de choc thermique (HSP), des dérivés actifs d’oxygène mais également des cristaux d’urate ou des produits terminaux de glycation avancée (AGE advanced glycation endproduct).
Ces NLR sont largement impliqués dans l’activation des inflammasomes, « plate-formes tournantes » amplificatrices du NF-kB favorisant l’installation d’une l’inflammation de bas grade spécifique des maladies métaboliques comme le diabète de type 2, les poussées des maladies auto-inflammatoires comme la maladie de Crohn ou certaines maladies auto-immunes associées aux infections persistantes comme le virus Epstein-Barr (EBV) (1).
Canaux ioniques/ TRP et informations d’ordre physique et neurochimique
Des canaux ioniques et une nouvelle famille de récepteurs perméables aux cations (TRP Transient receptor potential), particulièrement sensibles aux Ca²+, réagissent aux variations osmotiques, de pH, mécaniques, de température mais également neurochimiques.
Ils permettent aujourd’hui de comprendre certains éléments clés impliqués dans l’inflammation neurogène mais également dans les maladies inflammatoires intestinales (2, 3).
Récepteurs associés aux voies des Kinases et informations liées à l’état métabolique et hormonal
Par ailleurs, de nombreux récepteurs membranaires (récepteurs couplés aux protéines G RCPG, et ceux associés aux enzymes) en lien avec les voies d’activation des cascades enzymatiques liées aux kinases jouent un rôle majeur dans l’entretien ou la résolution de l’inflammation.
Ces voies peuvent interagir avec celle du NF-kB mais également de façon directe sur l’expression du génome via des modifications épigénétiques ou de coactivation/inhibition des récepteurs nucléaires.
Les molécules de signalisation peuvent alors être des hormones peptidiques ou amines biogènes (catécholamines, mélatonine, hormones thyroïdiennes), des facteurs de croissance, mais également des molécules liées à l’état métabolique notamment lipidique (acides gras et métabolites du microbiote tels que les AGCC).
La somme de ces informations reçues au niveau membranaire ou cytosolique, médiée ensuite par de nombreuses voies de signalisation intracellulaire interagissant entre elles, permet une adaptation permanente de la réponse génomique.
La place des récepteurs nucléaires dans la réponse immunitaire
Néanmoins, l’induction et le contrôle de la réponse immunitaire peuvent directement être le résultat de ligands propres aux récepteurs nucléaires.
Ces derniers sont des facteurs de transcription modulant l’expression du génome et ayant des effets croisés. Ils réagissent à la liaison de molécules lipophiles comme :
Les hormones stéroïdes et thyroïdiennes ;
Des xénobiotiques (médicaments, polluants chimiques, phytonutriments) ;
Des ligands nutritionnels (vitamine D, acide rétinoïque) et métaboliques (AG et dérivés écosanoïdes, cholestérol et dérivés, acides biliaires).
Parmi ces récepteurs nucléaires directement activables donc modulables, certains sont au cœur de toutes les convoitises en matière de recherche médicamenteuse dans un but thérapeutique métabolique et immunitaire.
Parmi eux, les PPARs α et γ (Peroxysome proliferative activated receptor) sensibles au profil en acides gras et en endocannabinoïdes, ainsi que les LXR (Liver X receptor) et FXR (Farnesoid X receptor) particulièrement sensibles au profil en acides biliaires (4, 5).
À noter que les différents facteurs transcriptionnels (NF-kB et nucléaires) modulent leur activité transcriptionnelle de façon réciproque.
Ainsi même si un niveau intermédiaire de régulation épigénétique existe, l’expression génomique de la réponse immunitaire repose sur l’harmonie de la transcription.
UNE RÉPONSE IMMUNITAIRE HARMONIEUSE GRÂCE À 4 NUTRIMENTS INDISPENSABLES
Ma sélection de ces 4 nutriments repose sur des critères biologiques et contextuels.
Ils sont indispensables à la bonne lecture de la partition génomique notamment sur le plan immunitaire et métabolique ;
Ils relèvent de l’allégation santé (JO UE 412/2012) « contribue au fonctionnement normal du système immunitaire » ;
Ils sont insuffisants dans de nombreuses catégories de la population (comportements alimentaires restrictifs, défauts d’assimilation intestinale, insuffisances des formes métaboliquement actives, déplétions liées à l’ordonnance longue durée) ;
Ils sont évaluables en biologique nutritionnelle ;
Ils sont optimisables par des mesures alimentaires, de supplémentation ou comportementales.
Les vitamines lipophiles majeures de la réponse immunitaire : Vitamines A et D
Il s'agit de ligands transcriptionnels, nécessaires à l’expression de gènes contrôlant la réponse immunitaire elle-même et l’immunométabolisme interagissant avec cette réponse. Leurs statuts en métabolites actifs suscitent la vigilance du fait de leur importance capitale.
L'acide rétinoïque : La forme active de la vitamine A sur le plan génomique
Les rétinoïdes naturels sont obtenus à partir de l'alimentation sous forme de vitamine A (all-trans-rétinol, esters de rétinol) issues des denrées animales (produits laitiers, œufs, foies) ou de provitamine A (β-carotène, β-cryptoxanthine) issus de végétaux.
Si l’apport en vitamine A au niveau mondial est un problème de santé publique notoire, l’apport dans nos sociétés occidentales est loin d’être moins optimal.
Mode action et effets immunitaires de la vitamine A
Le fonctionnement normal du système immunitaire, dépend en grande partie d’un dérivé de la vitamine A, l’acide rétinoïque, ligand naturel d’un facteur de transcription, le RAR (retinoic acide receptor).
Ainsi au niveau de l'ADN, le RAR nécessite en tant que partenaire hétérodimère obligatoire un RXR (retinoid X receptor) ; le couple ainsi formé et après fixation du ligand naturel, influence l’expression des gènes régulateurs de l'inflammation ainsi que d’autres récepteurs nucléaires impliqués dans la réponse immunitaire en particulier hormonaux (TR, VDR) et métaboliques (PPARs, LXR, FXR). Sur le plan immunitaire, l’acide rétinoïque, permet :
De réguler la croissance et la différenciation de cellules épithéliales et tissus lymphoïdes associées aux muqueuses des voies respiratoires et intestinales (effet barrière, différenciation lymphocytaire) ;
D’assurer une immunomodulation centrale (fonctionnement du thymus, délétion des LT auto-réactifs) et périphérique (différenciation des LT reg, régulation de l’IL-17) (6).
Facteurs limitants et situations à risque de déficits en acide rétinoïque
Les effets génomiques régulateurs immunitaires de la vitamine A nécessitent des conversions enzymatiques en all-trans-rétinal puis de façon irréversible en acide rétinoïque.
Le métabolisme du β-carotène a souffert pendant de nombreuses années d’un manque de connaissances sur certains processus régulatoires et suscitent encore des interrogations.
Néanmoins, cela nous appelle à des éléments de vigilance concernant :
L’absorption intestinale
Elle nécessite quelque soit la source une certaine intégrité des entérocytes, un support lipidique, une production suffisante en lipases et en sels biliaires.
En ce qui concerne l’assimilation du β-carotène au niveau de l’entérocyte, une partie emprunte la même voie de diffusion que la vitamine A préformée, vers les chylomicrons, au prix d’une conversion en rétinol.
Cependant on sait aujourd’hui qu’une partie de l'absorption des caroténoïdes intestinaux est médiée par des protéines (SR-B1). Son étape enzymatique de conversion en rétinal nécessite alors une enzyme la BCM01 (beta-carotene oxygenase 1). L’expression des SR-B1 et de la BCM01 dépend d’un facteur de transcription ISX (Intestin Specific Homeobox).
Les applications pratiques nous amènent à tenir compte dans nos conseils :
D’une potentielle régulation par rétroaction négative de l'absorption intestinale de β-carotène permettant l’adaptation aux besoins réels en vitamine A du corps (7),
D’éventuels et communs polymorphismes génétiques du gène BCMO1 qui altèrent le métabolisme du β-carotène chez les individus affectés (8).
Les protéines de liaison aux rétinoïdes
Elles présentent d’importantes fonctions dans la régulation du métabolisme de l’acide rétinoïque. Parmi elles, la RBP (retinol-binding-protein) et la transthyrétine (pré-albumine commune au transport des hormones thyroïdiennes) dont les concentrations varient en fonction de l’état nutritionnel, du statut en zinc, de l’état inflammatoire ainsi que du climat en hormones thyroïdiennes.
La conversion finale
une étape critique consiste en l'oxydation du rétinal en acide rétinoïque, qui est catalysée par les rétinaldéhyde déshydrogénases (RALDH ‐ 1, ‐2, ‐3), NAD dépendantes (9).
Ces éléments nous amènent à une vigilance accrue en cas de :
Défaut d’apport par régimes restrictifs en produits d’origine animale (selon les polymorphismes génétiques et états liés aux protéines de liaison) ;
Déplétion iatrogène (stérols végétaux, séquestrant des acides biliaires, huile de paraffine, certains pansements gastriques) ;
Diminution de l’absorption et/ou de conversion (pancréatite chronique, maladies inflammatoires intestinales, parasitoses insuffisance, hypothyroïdie, déséquilibre du rapport β-carotène/rétinol) ;
Déficit en RBP et transthyrétine (insuffisance hépato-cellulaire, déficit en zinc, dénutrition et état inflammatoire).
Eléments de supplémentation relatifs au statut en vitamine A
Les signes de déficit en rapport avec la régulation immuno-métabolique :
Faible résistance aux infections, troubles cutanés, et troubles digestifs ;
Augmentation de l’adipogénèse ;
Une coloration palmoplantaire (hypercaroténemie) peut être observée dans certains désordres métaboliques (hypothyroïdie, diabète).
L’évaluation en rétinol plasmatique doit tenir compte du fait que la vitamine A existe majoritairement sous forme de réserves hépatiques.
Néanmoins ce marqueur demeure intéressant en lien avec le dosage de la RBP et éventuellement celui du profil en caroténoïdes mais ne reflète pas totalement le statut en acide rétinoïque.
Il pourra être envisagée dans certains cas, la supplémentaire complémentaire en NADH (voie de transformation finale limitante en acide rétinoïque).
La voie alimentaire est celle à privilégier pour la vitamine A préformée.
En cas de supplémentation privilégier l’huile de foie de morue.
Vitamine A : VNR 800 µg ER (équivalent rétinol) / LSS 3000 µg ER Déconseillé aux femmes enceintes et désireuses de l’être, aux femmes ménopausées.
β-carotène : VNR 4800 µg La prise, même excessive, de caroténoïdes ne provoque pas d’hypervitaminose A mais l’accumulation peut entraîner du stress oxydatif mitochondrial. Déconseillé aux fumeurs (10).
Le calcitriol : La forme active de la vitamine D sur le plan génomique
En France, on estime que le pourcentage de personnes ayant une carence sévère avec des taux de 25-hydroxy vitamine D en dessous de 8 ng/ml (20 nmol/l) passe de 7% sur la Côte d’Azur à 29% dans le Nord.
En Europe, une étude, avait montré que 80% des personnes âgées avaient des taux de 25(OH)D en dessous de 30 ng/ml (11).
Il serait intéressant d’actualiser toutes ces données à la lumière de l’actualité sanitaire.
Les sources alimentaires de vitamine D3 (et D2) étant peu nombreuses (poissons, produits laitiers, certains champignons), l’amélioration du statut nécessite une supplémentation dans la plupart des cas.
Mode action et effets immunitaires de la vitamine D
La vitamine D3 provient essentiellement de la conversion cutanée du 7-déhydrocholestérol sous l’action des UVB.
La vitamine D subit une première hydroxylation sous l’effet de la 25-hydroxylase hépatique. La concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D (25OHD) reflète les stocks de l’organisme en vitamine D et se mesure en pratique courante.
La 25-OHD subit ensuite une seconde hydroxylation sous l’effet d'une enzyme mitochondriale principalement rénale, la 1α-hydroxylase.
Elle est ainsi convertie en 1,25 dihydroxyvitamine D ou calcitriol, forme active de la vitamine D.
Les effets immuno-métaboliques de la vitamine D sont néanmoins plutôt dépendant de l’expression extrarénale (fonction autocrine/paracrine) de la 1α-hydroxylase (tissus tels que la peau, les ganglions lymphatiques, les glandes parathyroïdes, l'épithélium intestinal, la prostate et la glande mammaire).
Les métabolites de la vitamine D sont transportés dans le sang liés à des protéines d'origine hépatiques, la protéine de liaison de la vitamine D (DBP) et l'albumine.
Le calcitriol, ligand du facteur de transcription VDR, appartenant à la famille des récepteurs nucléaires hormonaux, contrôle ainsi plus de 200 gènes régulant la réponse immunitaire, la prolifération et la différenciation cellulaires, l’apoptose, l’angiogenèse mais aussi la sécrétion d’insuline et celle de rénine (12).
Sur le plan immunitaire, le calcitriol permet :
D’augmenter les capacités fonctionnelles des macrophages et des cellules dendritiques, la production de peptides antimicrobiens et l’activation de PLA2 donnant lieu aux eicosanoïdes ;
D'acquérir de l’immunocompétence et le maintien de la tolérance périphérique.
Facteurs limitants et situations à risque de déficit en calcitriol
De nombreux experts considèrent que l’insuffisance en 25OHD est définie par une concentration sérique inférieure à 30 ng/ml (ou 75 nmol/l), puisqu’en dessous de ce seuil, on observe une élévation de la concentration sérique de parathormone.
(notons que ce repère est basé sur des critères endocrines phosphocalciques en lien avec l’expression rénale de la 1α-hydroxylase).
Ces éléments nous amènent à une vigilance accrue en cas de :
Diminution de la synthèse (personnes âgées, femmes voilées, phototype foncé, crèmes solaires, déficit en B5) ;
Augmentation du catabolisme iatrogène (isoniazide, antiépileptique, phénobarbital, glucocorticoïdes, rifampicine, millepertuis) ou en cas d’hyperthyroïdie ;
Diminution de l’hydroxylation (insuffisance hépatique, dysfonction mitochondriale) ;
Diminution de la biodisponibilité (obésité).
Eléments de supplémentation relatifs au statut en vitamine D
Les signes de déficit en rapport avec la régulation immuno-métabolique :
Les niveaux de vitamine D sont inversement corrélés à l'indice de masse corporelle, à l'hypertension, aux marqueurs inflammatoires et à la résistance à l'insuline.
L’évaluation de la 25-OHD peut être complétée par celle de la 1.25-OHD.
La supplémentation est quasi-indispensable en cas de déficit et il est conseillé de privilégier les formes D3 issues de l’huile de poissons (vérifier les labels qualité), de lanoline de mouton ou de lichen Boréal.
- VNR 200 UI (5 µg) à 600 UI (15 µg) (EFSA, 2016) / LSS 4000 UI (100 µg) Déconseillé en cas d’hypercalcémie, maladie rénale et traitement à la digoxine et aux thiazides.
Toute la supplémentation justifie le choix d’un dosage afin de la guider et parfois l’adaptation du dosage selon le profil à risque de déficits.
Les oligo-éléments majeurs de la réponse immunitaire : Zinc et Selenium
Réponse immunitaire et Zinc
Mode action et effets immunitaires du zinc
Au niveau du génome, le zinc est un élément nécessaire à la transcription. Il participe à l’activité de protéines possédant des motifs de liaison à l’ADN de type doigts de zinc (zinc finger, ZF). Ce système de reconnaissance de l’ADN est utilisé non seulement pour cibler spécifiquement l’action activatrice ou inhibitrice d’un facteur de transcription mais également pour réaliser le remplacement spécifique de gènes.
Le zinc constitue également un cofacteur majeur d’enzymes endogènes antioxydantes ainsi qu’un élément nécessaire à la fonctionnalité des prostaglandines et de l’insuline.
Néanmoins, le zinc fait partie des molécules de signalisation impliquées dans l’activation de voies intracellulaires interagissant avec le NF-kB.
Il existe au moins 2 niveaux membranaires sensibles aux les variations de zinc :
Les Zn²+ qui influent sur certains canaux TRP ;
Des récepteurs à zinc (ZnR) de nature RCPG activant les voies intracellulaires des MAPK (mitogen-activated protein kinases) (12,13). C’est d’ailleurs par cette voie de signalisation que le zinc participe à la division cellulaire.
Sur le plan immunitaire, le zinc permet :
La production de mucus et de cellules épithéliales (effet barrière) ;
L’acquisition de l’immunocompétence et la prévention de l’immunodéficience liée à l’âge, l’activation, différenciation et prolifération des L Th et anticorps ;
Le contrôle des médiateurs inflammatoires (inhibition des TNFα, IL-1β, IL-6), des médiateurs oxydatifs (inhibition de la NADPH Oxydase, cofacteur de la SOD, induction des métallothionéines).
Alors qu'une carence aiguë en Zn entraîne une diminution de l'immunité innée et adaptative, une carence chronique augmente l'inflammation influençant l'issue d'un grand nombre de maladies inflammatoires (14).
Le zinc fonctionne comme un modulateur de la réponse immunitaire mais également comme un agent de prolifération cellulaire dont les voies de signalisation peuvent interagir avec la signalisation inflammatoire.
Toute supplémentation devra tenir compte de cette balance bénéfice/risque.
Facteurs limitants et situations à risque de déficits en zinc
La biodisponibilité en zinc est vraiment un facteur limitant de son statut et un nombre important de circonstances pathologiques interagissent avec son métabolisme.
Ces éléments nous amènent à une vigilance accrue en cas de :
Défaut d’apport par régimes restrictifs en produits d’origine animale ;
Malabsorption et/ou augmentation des besoins (atteintes inflammatoires intestinales, parasitoses, insuffisance pancréatique, hépatites, cirrhose, alcoolisme, diabète, excès de cadmium ou de cuivre) ;
Déplétions iatrogènes (corticoïdes, antihistaminiques H2, la plupart des diurétiques, IEC, antihypertenseurs centraux, contraceptifs oraux et hormonothérapies, pénicillamine).
Eléments de supplémentation relatifs au déficit en zinc
Signes de déficit en rapport avec la régulation immuno-métabolique :
Immunodépression ;
Troubles cutanés, visuels et digestifs ;
Perte de l’odorat et du goût ;
Troubles métaboliques.
L’évaluation du zinc plasmatique ou érythrocytaire est possible en pratique courante même si une grande partie du zinc disponible se trouve lié aux métallothionéines (rôle régulateur dans la libération du zinc). L'évaluation sérique du zinc ne reflète pas toujours son statut fonctionnel (niveau abaissé des phosphatases alcalines PAL).
- VNR 10 mg / LSS 25 mg
Une prise pendant plus d’un mois peut perturber l’assimilation du cuivre et du chrome.
L’estimation du bénéfice d’une supplémentation vs le risque sera à discuter en fonction des profils inflammatoires.
Les sélénoprotéines : Les formes actives sécuritaires du selenium sur le plan génomique
Mode action et effets immunitaires du sélénium
Le sélénium alimentaire principalement par son incorporation dans les sélénoprotéines, joue un rôle important dans l'inflammation et l'immunité. Le sélénium sous formes organiques, les sélénocystéine et sélénométhionine (denrée d'origine animale), et sous formes inorganiques, le sélénite et la sélénate (noix du Brésil), subit plusieurs étapes de conversion et est incorporé dans les chaînes polypeptidiques, complétant la synthèse de la sélénoprotéine finale.
Des niveaux adéquats de sélénium sont importants pour déclencher l'immunité, mais ils sont également impliqués dans la régulation des réponses immunitaires excessives et de l'inflammation chronique (16).
Les sélénoprotéines sont des éléments modulateurs de la signalisation immunitaire via la régulation pré et post transcription (interface redox du génome), et la stabilité des doigts de zinc lors de la transcription (en complément du zinc).
Le sélénium est également le cofacteur d’enzymes endogènes antioxydantes.
Sur le plan immunitaire, le sélénium permet :
Les fonctions effectrices leucocytaires, notamment l'adhérence, la migration, la phagocytose et la sécrétion de cytokines. Il est également indispensable à la fonction thyroïdienne ;
La régulation des médiateurs lipidiques de l’inflammation (régulation des eicosanoïdes via les COX/LOX) et des médiateurs oxydatifs (cofacteur de la GPX, thiorédoxine réductase, inhibition des iNOS).
Facteurs limitants et situations à risque de déficit en sélénoprotéines
Défaut d’apport par régimes restrictifs en produits d’origine marine et en protéines, (et/ou majorité de denrées végétales provenant de sols pauvres en sélénium) ;
Malabsorption et/ou augmentation des besoins (personnes âgées, femmes enceintes et allaitantes, syndrome de malabsorption) ;
Déplétions iatrogènes (corticoïdes).
Surconsommation des systèmes redox TRX/GRX (thiroredoxine, glutathion réductases).
Eléments de supplémentation relatifs au déficit en sélénium
L’évaluation du sélénium plasmatique est possible en pratique courante et doit constituer un critère indispensable au choix d'une supplémentation sous forme inorganique (uniquement en cas de déficit avéré) ou d'une supplémentation prolongée sous forme organique (au delà de 2 mois).
La marge thérapeutique du sélénium est très étroite a fortiori sous forme inorganique.
Des niveaux élevés de sélénium inorganique peuvent affecter l'expression des gènes, la réparation de l'ADN et, par conséquent, la stabilité génomique.
L'oligo-élément se conduit alors en métaux de transition pouvant déplacer les zinc des domaines de liaison à l'ADN ou au niveau des groupement thiol/disulfure.
- VNR 55 µg / LSS 300 µg privilégier les formes organiques (sélénocystéines ou sélénométhionines, ou levure enrichie en sélénium)
Interactions possibles en cas de prise d’anticoagulants.
CONCLUSION
La plupart des maladies actuelles et atteintes fonctionnelles se caractérisent par un système immunitaire « hyperactif » bien que défaillant.
Paradoxe ?
Non, à travers ces 2 volets, je souhaitais justement souligner cette dualité entre la complexité des facteurs et la simplicité des lois biologiques qui régissent la santé, à l’échelle de notre planète comme de notre cellule. Tout est une question d’adaptation.
Dans l’approche de la Nutrition Fonctionnelle Adaptative®, nous avons pour ambition de transmettre ces principes universels aux professionnels de santé afin de développer à l’avenir, a minima, pour chaque patient :
La mise en place de mesures de santé environnementale ;
La restauration de « socles » nutritionnels via l’alimentation et la supplémentation en nutriments ou en substances à but nutritionnel ;
Et pourquoi pas, selon l’intérêt et les limites propres à chaque profession :
Le soutien fonctionnel via la supplémentation en substances à but physiologique ou en phytonutriments.
Cela sous-entend également l’actualisation des données scientifiques, sur la physiopathogénie et les marqueurs d’évaluation des fonctions atteintes, travail que nous continuons de partager avec vous au sein d’OREKA FORMATION, avec conviction !
Marie-I. LODATO
Formatrice en Santé environnementale, Nutraceutiques et Plantes médicinales
Co-Responsable pédagogique Oreka Formation
Co-Conceptrice de la Nutrition Fonctionnelle Adaptative
Cliquez ici pour voir les sources bibliographiques
(1) JAMILLOUX Y., HENRY T. The inflammasomes : platforms of innate immunity. Med Sci (Paris). 2013 Nov ;29(11) :975-984. doi.org/10.1051/medsci/2013291101.
(2) CHEN Y, MU J, ZHU M. et al. Transient Receptor Potential Channels and Inflammatory Bowel Disease. Front. Immunol. February 2020;11:180. doi: 10.3389/fimmu.2020.00180.
(3) KHALIL M, ALLIGER K, WEIDINGER C, et al. Functional Role of Transient Receptor Potential Channels in Immune Cells and Epithelia. Front Immunol. 2018 Feb 7;9:174. doi: 10.3389/fimmu.2018.00174.
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