Quels sont les nouveaux apports maximaux tolérables ?
Dans le cadre de la révision des limites supérieures de sécurité pour certains nutriments, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a publié son évaluation à propos des 9 nutriments sur lesquels la Commission Européenne l’avait invitée à travailler :
Le sélénium (en priorité)
Les vitamines A, B6, D, E
Le béta-carotène
Les vitamines et les minéraux essentiels sont des micronutriments indispensables au fonctionnement normal du corps humain. Cependant, ils peuvent entraîner des effets néfastes sur la santé s'ils sont consommés en excès.
Les principes de l'EFSA pour l'établissement d'AMT ou apport maximal tolérable (tolerable upper intake level UL) pour les vitamines et les minéraux ont été initialement élaborés par le Comité scientifique de l'alimentation humaine (Scientific Committee on Food SCF) en 2000.
Depuis lors, de l'expérience a été acquise et le domaine scientifique s'est développé ainsi que les modèles alimentaires d’alimentation enrichie et les modes de consommation de compléments alimentaires.
Le concept d'apport maximal tolérable (AMT) fait partie des valeurs nutritionnelles de référence (VNR) en tant que valeur de référence scientifique qui a été introduite pour aider les décideurs politiques et autres acteurs concernés à gérer les risques liés à un apport excessif en nutriments.
Le groupe scientifique de l'EFSA sur la nutrition, les nouveaux aliments et les allergènes alimentaires a d’abord fourni un cadre actualisé pour soutenir les évaluations d'AMT de l'EFSA (EFSA Panel on Nutrition, Novel Foods and Food Allergens NDA) en raison des spécificités de l'évaluation des risques liés aux nutriments.
Si des effets indésirables ont été associés à l'apport total, les AMT sont basés sur l'apport total d'un nutriment provenant des aliments, de l'eau et des suppléments.
Application de l'évaluation des risques des substances chimiques à l'évaluation des risques liés aux nutriments
Les étapes d'évaluation des risques
Comme dans le cadre précédent, les principes généraux développés pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques dans les aliments sont appliqués (identification des dangers, caractérisation des dangers, évaluation de l'ingestion, caractérisation des risques).
L’application des normes acceptées pour l’évaluation des risques des substances chimiques présentes dans l’environnement à l’évaluation des risques des substances chimiques et des composants alimentaires suppose de tenir compte du besoin essentiel en nutriments.
Sur la base d’un examen approfondi de la littérature scientifique, l’étape d’identification des dangers décrit les effets néfastes sur la santé dont il a été démontré qu’ils sont causés par le nutriment ou le composant alimentaire (preuves d'effets indésirables chez l'homme, causalité, données pharmacocinétiques et métaboliques, mécanismes d'action toxique, identification de sous-populations distinctes et hautement sensibles etc.).
Les composantes de l'évaluation de la relation dose-réponse constituent la seconde étape de ce cadre d'évaluation des risques.
La fraction de la population qui consomme régulièrement un nutriment à des niveaux d'apport supérieurs à l' AMT est potentiellement exposée à un risque d'effets nocifs sur la santé. Voir le texte pour une discussion des facteurs supplémentaires nécessaires pour juger de l'importance du risque. LOAEL = dose minimale avec effet nocif observé, NOAEL = dose sans effet nocif observé, UL = dose maximale tolérable.
Les limites du cadre d'évaluation des risques liés à un apport élevé en nutriments
Dans les cas où des effets indésirables ont été associés à l'apport provenant uniquement de suppléments et d'aliments enrichis, l'AMT est basée sur l'apport provenant de ces sources uniquement, plutôt que sur l'apport total (autres sources d'expositions y compris médicamenteuses).
D'autre part, les effets des nutriments provenant d'aliments enrichis ou de suppléments peuvent différer de ceux des constituants naturels des aliments en raison de la forme chimique du nutriment, du moment de l'apport et de la quantité consommée en une seule dose en bolus, de la matrice fournie par l'aliment et de la relation du nutriment aux autres constituants de l'alimentation.
Par ailleurs, en raison de la taille différentielle du marché et des enjeux financiers en jeu, les données scientifiques sont largement plus importantes en termes de formes liées aux vitamines et minéraux utilisés dans les aliments enrichis.
Le marché des compléments alimentaires et les formes à forte biodisponibilité, les formes inorganiques d'oligo-éléments ou autres formes émergentes plus représentées dans ce domaine manquent cruellement de données et d'AMT spécifique.
Des déséquilibres entre vitamines ou autres nutriments peuvent également être possibles.
Ces raisons, et celles liées à l'exposome de façon globale, justifient la nécessité d'inclure la forme et le mode de consommation dans l'évaluation du risque lié à un apport élevé en nutriments ou en composants alimentaires.
À ce jour, les limites des conclusions de l'EFSA, qui constituent néanmoins une avancée indéniable sont :
Le manque de données sur les formes à haute biodisponiblité de certains compléments alimentaires ou encore les formes inorganiques d'oligo-éléments, marché considéré comme négligeable au regard des aliments enrichis,
La non intégration des autres sources d’exposition dans l'évaluation du risque (exposition médicamenteuse, par dispositif médical, professionnelle etc.),
La généralisation et l'intégration des données intégrées (IATA) au même titre que la médecine environnentale à l'évaluation des risques,
La non intégration du changement de paradigme amorcé par la considération récente de la classe danger "perturbateur endocrinien" (effet non proportionnel à la dose ou dose-réponse non monotone, évaluation des effets épigénétiques en situation d'exposition précoce ou effet fenêtre, effets à long terme etc.).
⚠️ Ce dernier point est le plus préoccupant car le développement de la supplémentation en périnatalité, en auto-consommation ou sous les conseils de praticiens ou professionnels de santé non formés à la nutrigénomique appliquée et à la prévention croisée en périnatalité, est en pleine expansion avec des conséquences croissantes sur le risque de pathologies chroniques et de troubles neurodéveloppementaux pour les générations à venir.
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Apport maximal tolérable des vitamines et minéraux : les points forts
Le sélénium
En janvier 2023, la limite supérieure de sécurité (LSS) pour le sélénium est le premier des avis scientifiques mettant à jour le seuil supérieur pour certaines vitamines et minéraux.
Le nouvel apport maximal tolérable est de 255 mcg par jour pour les adultes y compris les femmes enceintes et allaitantes (contre 300 microgrammes auparavant).
Le groupe d'experts précise qu'il est peu probable que les consommateurs adultes dépassent la LSS, à l'exception des utilisateurs réguliers de suppléments alimentaires contenant des doses quotidiennes élevées de sélénium ou des consommateurs réguliers de noix du Brésil.
⚠️ Les compléments contenant du sélénium pour les tout-petits et les enfants (mais en prévention croisée pour les femmes enceintes et allaitantes pourrait-on rajouter) devraient être utilisés avec prudence en fonction des besoins individuels.
Des revues systématiques de la littérature ont été menées pour identifier les preuves concernant l'apport excessif en sélénium et les effets cliniques ainsi que les biomarqueurs potentiels d'effet, le risque de maladies chroniques et le développement neuropsychologique altéré chez l'homme.
L'alopécie, en tant que caractéristique observable précoce et effet indésirable bien établi de l'exposition excessive au sélénium, est sélectionnée comme critère critique sur lequel baser une limite supérieure tolérable pour le sélénium.
Remarque complémentaire concernant le sélénium (issue du module 4) :
Selon sa forme chimique, le sélénium (Se) est un oligo-élément avec une fourchette étroite entre besoin et toxicité pour la plupart des vertébrés (marge thérapeutique étroite).
Les critères d'évaluation traditionnels de la toxicité du Se comprennent la réduction de la croissance, de l'apport alimentaire et du stress oxydatif, tandis que des découvertes plus récentes décrivent une perturbation de la synthèse des acides gras comme un mécanisme toxique sous-jacent (niveaux bas d'acides gras libres, de monoacylglycérols et de diacylglycérols ainsi que des endocannabinoïdes).
Les mécanismes toxiques apparents à des niveaux élevés de Se comprennent le stress oxydatif, les altérations épigénétiques et du métabolisme lipidique pour le Se inorganique et organique, avec une toxicité plus élevée pour le Se inorganique.
Le sélénium provient, dans l’alimentation humaine :
De formes organiques : Selénocystéine et SélénoMethionine (produits animaux notamment marins),
De formes inorganiques : sélénate et la sélénite (produits végétaux dont la noix du Brésil) ;
Il subit plusieurs étapes de conversion et est incorporé dans les chaînes polypeptidiques, complétant la synthèse de la sélénoprotéine à partir de séléniure ; ce dernier est synthétisé à partir :
De formes organiques clivées par SCLY (sélénocystéine lyase).
De formes inorganiques réduites par les systèmes TXNRD/TRX ou GRX/GSH.
En d'autres termes, plus la consommation de formes inorganiques est élevés, plus le risque de déplétion en capacités enzymatiques antioxydantes (GRX, glutathion réductase ; TRX, thiorédoxine ; TXNRD, la thiorédoxine réductase ; GSH, glutathion) augmente !
La vitamine B6
Une dose maximale de 12 mg/jour (contre 25 mg auparavant) est établie par le groupe scientifique pour la vitamine B6 chez les adultes (y compris les femmes enceintes et allaitantes).
Les doses maximales pour les nourrissons et les enfants sont dérivées de la dose maximale pour les adultes à l’aide d’une échelle allométrique : 2,2-2,5 mg/jour (4-11 mois), 3,2-4,5 mg/jour (1-6 ans), 6,1-10,7 mg/jour (7-17 ans).
Sur la base des données d’apport disponibles, il est peu probable que les populations de l’UE dépassent les doses maximales, à l’exception des utilisateurs réguliers de compléments alimentaires contenant de fortes doses de vitamine B6.
Les symptômes cliniques de toxicité en B6 à long terme se traduisent par une neuropathie périphérique, des dermatoses, de la photosensibilité, d'étourdissements et de nausées.
Le manganèse
Dans l’avis scientifique sur le manganèse, les experts ont établi un « niveau d'apport sûr » de 8 mg/jour pour les adultes (y compris les femmes enceintes et allaitantes) et de 2 à 7 mg/jour pour les autres groupes de population.
La neurotoxicité est également un critère clinique d'excès de manganèse.
Les folates / acide folique
Les limites supérieures de sécurité existantes pour l’acide folique pour tous les groupes de population (par exemple 1000 mcg par jour pour les adultes) restent inchangées et une nouvelle LSS de 200 microgrammes par jour est prévue pour les nourrissons âgés de 4 à 11 mois.
L'EFSA estime qu'ill est peu probable que l'apport maximal tolérable pour les suppléments de folate soient dépassé dans les populations européennes, sauf pour les utilisateurs réguliers de compléments alimentaires contenant de fortes doses d'acide folique et de substances apparentées.
Les preuves des effets indésirables prioritaires sur la santé d'un apport excessif en folate (y compris l'acide folique et les autres formes autorisées, la glucosamine de l'acide (6S)-5-méthyltétrahydrofolique et les sels de calcium de l'acide l-5-méthyltétrahydrofolique), sont :
Le risque de neuropathie cobalamine-dépendante,
Le déclin cognitif chez les personnes ayant un faible taux de cobalamine,
Le cancer colorectal
Le cancer de la prostate.
Il manque encore énormément de données sur la supplémentation stricte en méthylfolates.
L'EFSA considérant, dans son dernier avis de novembre 2023 sur l'apport maximal tolérable en folate, que ce type de risque ne concernerait qu'une partie négligeable (et négligée par défaut d'enquête nationale) de la population utilisant régulièrement des CA à hautes doses de sels de 5-MTHF.
Il faut comprendre que la plupart des études concernent l'industrie des aliments enrichis (qui utilisent encore très peu ces formes).
Le groupe scientifique maintient que la limite supérieure proposée de 1000 mcg s'applique à l'apport combiné d'acide folique et de sels de 5-MTHF dans leurs conditions d'utilisation autorisées.
La question des apports en méthylfolates et d'une AMT spécifique devrait constituer un axe prioritaire du fait de la tendance à susbtituer les recommandations en acide folique par des méthylfolates en l'absence ou insuffisance de données intégrées en terme de perturbation épigénétique à long terme.
Le fer
L'EFSA a fixé un niveau sûr d'apport en fer :
40 mg/jour pour les adultes y compris les femmes enceintes et allaitantes,
35 mg/jour pour les adolescents âgés de 15 à 17 ans.
10 mg/jour pour les enfants âgés de 1 à 3 ans
5 mg/jour pour les nourrissons âgés de 4 à 11 mois (couvrant les apports en fer provenant des aliments enrichis et des compléments alimentaires, mais pas des préparations pour nourrissons ou des préparations de suite),
Un apport excessif en fer, lorsqu'il est maintenu sur des périodes prolongées, peut avoir des effets négatifs sur la santé, en particulier sur le foie.
Les compléments en fer fortement dosés peuvent également avoir des effets indésirables sur le tractus gastro-intestinal.
Textes de références :
The Tolerable Upper Intake Level (UL) is the maximum level of total chronic intake of a nutrient from all sources judged to be unlikely to pose a risk of adverse health effects in humans (EFSA NDA Panel, 2022a).
Marie-I. LODATO
Formatrice en Santé et médecine environnementale, Nutraceutiques et Plantes médicinales
Co-Responsable pédagogique Oreka Formation
Co-Conceptrice de la Nutrition Fonctionnelle Adaptative
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