Tour d'horizon entre bases scientifiques et discours commerciaux : réduction des calories, impact sur la glycémie et sur le microbiote, etc.
L’industrie des édulcorants artificiels, initiée dans une optique substitutive sous fond de crise agricole de la betterave et de la canne à sucre durant les guerres mondiales, a non seulement perduré mais connaît depuis 20 ans une croissance exponentielle.
Consommation en France (% de la population selon les données Obepi) :
8,5 % en 1997,
15% en 2012.
Consommateurs réguliers aux États-Unis pour la période 2009-2012 (1) :
25 % des enfants,
41 % des adultes.
Valorisés en tant que molécules anti cariogènes, adaptés aux contraintes marketing de « naturalité » avec les extraits de plantes, encadrés par des doses journalières acceptables (DJA) rassurantes sur leur usage, ce n’est que récemment que les instances sanitaires européennes ont convenu d’une réévaluation des édulcorants artificiels à travers une expertise collective se posant la seule et unique question qui prévaut aujourd’hui en matière d’alimentation :
Quel est le bénéfice nutritionnel par rapport au risque sanitaire ?
Ni l’Anses en 2015, ni le projet SWEET actuel, financé par la Commission européenne (consortium de 29 partenaires européens de la recherche, des consommateurs et de l'industrie) n’apportent à ce jour les preuves d’un quelconque avantage à long terme ni même de risques potentiels liés aux édulcorants.
En cause, des résultats non comparables voire totalement opposés issus de revues systématiques et de méta-analyses multipliant les types et conceptions des études, la diversité biochimique et métabolique des molécules et des populations étudiées ainsi que l’absence d’observations longue durée.
Afin de vous faire votre propre avis sur la part de discours commerciaux des industriels de l’agro-alimentaire et, dans une certaine mesure, du secteur des compléments alimentaires, je vous propose de revenir à la recherche fondamentale et surtout à la physiologie et à la biologie concernant les potentiels effets bénéfiques attendus par les utilisateurs.
À savoir :
Ne pas prendre de poids,
Se déshabituer du sucre.
SOMMAIRE
BÉNÉFICES / RISQUES DES ÉDULCORANTS INTENSES : PAS DE CERTITUDE CLINIQUE MAIS DES FONDEMENTS BIOLOGIQUES
Les édulcorants artificiels ou intenses (ou non nutritifs NNS) actuellement autorisés en Europe regroupent dix molécules de 7 natures chimiques diverses utilisés dans la formulation d’aliments et de boissons, essentiellement pour leur pouvoir sucrant et non calorique mais également pour leurs propriétés technologiques (stabilisateurs, texturants) (2).
En France, les édulcorants intenses les plus utilisés par les industries agro-alimentaires sont l’aspartame E951, l’acésulfame de potassium (ou K) E954 et le sucralose E955 mais existent également le néotame E961, l’advantame E969 ou encore des extraits de stévia, les glycosides de stéviol E960. La saccharine E954 a été délaissée en raison de son arrière-goût amer.
A l’issue du travail de réévaluation, l’Anses considère que (3) :
« concernant les bénéfices nutritionnels, les études disponibles ne permettent pas de prouver que la consommation de produits contenant des édulcorants intenses présente un intérêt sur le contrôle du poids, de la glycémie des sujets diabétiques ou sur l’incidence du diabète de type 2 » ;
« concernant les risques, notamment le développement d’un cancer, d’un diabète de type 2 ou d’un accouchement prématuré, les données disponibles à ce jour ne permettent pas d’établir un lien entre la survenue de ces risques et la consommation d’édulcorants intenses. Quelques études soulignent toutefois la nécessité d’approfondir les connaissances entre la consommation d’édulcorants intenses et certains risques ».
Les édulcorants artificiels ont des structures distinctes et sont métabolisés différemment : parmi eux, notons que le sucralose est obtenu par chloration intense d’une molécule de saccharose et que le cyclamate E952 est dérivé du benzène ; interdit dès les années 1970 aux États-Unis pour risque cancérogène (Food and Drug Administration FDA), ce dernier est toujours autorisé en Europe.
En ce qui concerne la métabolisation de l’aspartame, elle conduit à la formation (4) :
De la phénylalanine (50 %), les aliments contenant de l'aspartame doivent être étiquetés avec l'information : « contient de la phénylalanine » notamment à visée des personnes atteintes de phénylcétonurie, une maladie génétique dans laquelle les patients ne peuvent pas convertir la phénylalanine en tyrosine et qui doivent éviter l'aspartame.
De l'acide aspartique (40 %).
Du méthanol (10 %), oxydé dans le foie en formaldéhyde, responsable de la destruction des cellules hépatiques à forte dose dans le sang.
Tous les métabolites de l'aspartame mentionnés sont toxiques pour le cerveau et nocifs sur le développement du fœtus. Néanmoins, selon l’EFSA, « à la dose journalière acceptable (DJA) 40 mg par kg de poids corporel, l’aspartame peut être ingéré quotidiennement pendant toute la durée d'une vie sans risque notable pour la santé » (5).
À noter que, chez les personnes ayant consommé ou consommant des quantités importante d'aspartame, se produit la formation d'anions superoxyde et de peroxyde d'hydrogène pouvant entraîner une dénaturation des protéines et des modifications enzymatiques ultérieures ; outre la libération d’espèces réactives d’oxygène (ERO), la métabolisation de l’aspartame conduit à une perturbation de la voie de transsulfuration entraînant une diminution de la plupart des métabolites issues de cette voie (cystéine, glutathion, acide α-lipoïque, taurine) et augmentation des niveaux d'homocystéine.
MÉCANISMES BIOLOGIQUES DE LA PERCEPTION DU GOÛT SUCRÉ
Réception du signal
Les récepteurs du goût se situent dans les cellules réceptrices du goût (TRC) spécialisées au sein des papilles gustatives. Les perceptions des saveurs sucrées et umami* partagent une voie de transmission du signal commune médiée par les chémorécepteurs des cellules gustatives de type T1R (taste receptor 1 ou TAS1R) (6).
*saveur représentée par le bouillon de poule ou de bœuf, le miso ou encore le parmesan qui correspond à la perception d’aliments riches en acides aminés et stimulée par les exhausteurs de goût de type glutamate de sodium E621 (ou encore les inosinates, les guanylates).
En effet, le récepteur du goût sucré est un hétérodimère de deux récepteurs couplés aux protéines G (RCPG), T1R2 et T1R3 (la perception umami étant liée au couple T1R1/T1R3) (7).
Articulé en 3 domaines, chaque élément du couple T1R2/T1R3 est la cible de ligands agonistes très divers à effet sucrant ou antisucrant sur le plan gustatif :
Un large domaine extracellulaire composé d’un module Venus flytrap (VFTM) liant les ligands de différentes natures biochimiques, issues du glucose ou de peptides.
Une région intermédiaire dite riche en cystéine (CRD) qui lie le domaine VFTM,
Un domaine transmembranaire à 7 hélices qui est caractéristique des RCPG.
La perception du goût sucré est un processus physiologique sélectif de l'espèce qui, chez l’homme, est activée par des molécules de natures biochimiques différentes.
Selon l’effet agoniste ou antagoniste, on obtient un effet sucrant ou antisucrant.
Les agonistes
Les ions : l’ion zinc est un ligand direct du récepteur T1R2 dont le site de liaison est localisé dans la partie extracellulaire : ceci implique la nécessité d’un statut suffisant en zinc afin de jouir d’une capacité optimale à la perception sucrée ainsi qu’à la signalisation glucidique ! Les ions Zn²+ partagent cette propriété avec les ions plomb Pb²+, expliquant l’attirance des enfants pour le goût sucré des écailles des peintures au plomb dans les logements vétustes (et malheureusement les cas encore trop fréquents de saturnisme).
Les sucres naturels tels que le saccharose, le fructose, ou le maltose, ainsi que certains édulcorants artificiels comme l'aspartame (dipeptides) ou le sucralose induisent également un effet sucrant en se fixant au domaine extracellulaire de T1R2 Venus Flytrap (VFTM).
Des petites molécules de diverses classes chimiques ont un effet sucrant (saccharine, cyclamate, steviosides, acide glycyrrhizique) à travers d’autres domaines de liaison du couple T1R2/T1R3. Le principal constituant au goût sucré de la racine de Glycyrrhiza glabra (réglisse) est une saponine triterpénoïde naturelle contenant un aglycone de type 18β-H-oléanane et un acide glucuronique ; la glycyrrhizine est un produit naturel sucré extrait de la racine de réglisse, qui n'est pas utilisée comme édulcorant mais comme arôme (8).
Les antagonistes
Cette propriété fait l’objet aujourd’hui de recherche par les industriels notamment avec le lactisole, inhibiteur du goût sucré dépendant des résidus dans le domaine transmembranaire du T1R3 humain.
De façon similaire, le domaine transmembranaire de T1R3 est le segment principalement impliqué dans l'effet suppresseur (de courte durée) de perception sucrée, des acides gymnémiques, issus de la plante Gymnema sylvestris (9).
Transmission du signal
La réception du signal n’est pas suffisante en soi dans le circuit de signalisation au goût sucré. La liaison des agonistes induit des changements de conformation requis pour l'activation des récepteurs et des voies de messagers secondaires qui, en aval conduisent à la dépolarisation et à l'augmentation du calcium intracellulaire dans les CRT.
La transmission du signal au cortex gustatif dans le cerveau implique ainsi successivement l’activation d’une protéine G trimérique composée de α-gustducine (Gα- gust), de phospholipase C (PLCβ2) corrélée à la production d'inositol 1,4,5-triphosphate (IP3) et de diacylglycérol (DAG) puis l’activation d’un canal ionique intracellulaire qui permet l'augmentation du Ca2+ intracellulaire (10).
Sur le plan de la supplémentation
Au niveau de la perception linguale, les chémorécepteurs T1R signalent la présence d’aliments riches en glucides mais également en acides aminés au cerveau et nécessitent une structure fonctionnelle dépendante du zinc et de la cystéine.
L’utilisation traditionnelle d’extraits à effet sucrant comme la réglisse (dans la limite des précautions d’emploi usuelles notamment en cas d’hypertension) ou antisucrant comme le Gymnema sp. peuvent constituer des solutions non durables d’accompagnement dans une problématique de pulsions sucrées. En effet, la régulation du métabolisme glucidique et de la prise alimentaire associée est avant tout dépendante de la qualité de perception des molécules en question.
La perception sucrée est donc intimement liée à des facteurs micronutritionnels tels que le zinc, la cystéine, l’inositol ou encore le calcium ; l’importance de ce statut structurel fonctionnel se prolonge au sein des autres tissus exprimant les T1R et interroge sur les conséquences des édulcorants dans cette mécanique fine de régulation du métabolisme glucidique.
ÉDULCORANTS INTENSES ET MÉTABOLISME GLUCIDIQUE
Même si les résultats des études restent controversés quant aux effets attendus/risques des édulcorants sur le poids, la physiologie nous apporte, là encore, des éléments de réponses concernant l’effet des édulcorants artificiels sur les processus physiologiques impliqués dans l'homéostasie du glucose.
Les chémorécepteurs « du goût sucré » sont en effet exprimés en dehors du système gustatif, notamment dans des cellules chémosensorielles de l’intestin mais aussi dans le tissu adipeux, les reins, le foie, les testicules, le pancréas exocrine, ainsi que certains lymphocytes (11).
Des édulcorants non caloriques mais à effets nutritionnels
Bien que non nutritifs, les édulcorants artificiels peuvent favoriser l'absorption intestinale du glucose en régulant positivement les transporteurs membranaires, SGLT1 et GLUT2.
Augmentation de l’expression des GLUT 2 sur la bordure en brosse des entérocytes : les édulcorants tels que le sucralose, l’acésulfame de potassium ou la saccharine, métaboliquement neutres pris isolément, sont nutritionnellement actifs par effets sur l’absorption des glucides alimentaires en facilitant l’absorption du glucose présent dans la lumière digestive.
Induction du transport de glucose de type SGLT-1 (sodium/glucose co-transporter 1) via le récepteur T1R3 senseur de glucose au niveau de la lumière intestinale : une administration régulière de sucres mais aussi d’édulcorant tel que le sucralose conduit à une absorption accrue de glucides.
Interactions des édulcorants avec les mécanismes endocriniens
Tous les édulcorants artificiels n'atteindront pas les cellules pancréatiques ou encore le tissu adipeux car certains ne sont pas absorbés dans la circulation systémique, mais un certain nombre d’entre eux peuvent affecter la capacité de sécrétion d'insuline en interagissant avec le récepteur T1R3 au niveau des cellules pancréatiques ou encore favoriser une adipogenèse et limiter la lipolyse au niveau des adipocytes (12).
Par ailleurs, de plus en plus d'études suggèrent que la consommation exacerbée et chronique de sucres et d'édulcorants en tout genre (de synthèse et naturels) pourrait avoir un impact sur le microbiote et à travers lui sur la régulation entéro-endocrine. En effet, si certains chercheurs s’inquiètent de la nocivité de la plupart des édulcorants (sans parler des polyols*) pour la population microbienne intestinale : l'aspartame, le sucralose, la saccharine, le néotame, l'advantame et l'acésulfame de potassium et ce à des concentrations, parfois, de seulement 1 mg/mL, d’autres auteurs estiment que seules la saccharine, le sucralose et la stévia modifient la composition du microbiote intestinal par effet bactérostatique (13) (14).
* les polyols ou édulcorants de charge nutritifs (mannitol E421, xylitol E967, isomalt E953, érythritol E968 etc.) sont employés dans les produits alimentaires « sans sucre ». Les polyols sont peu digestibles et fermentent dans le gros intestin. Leur consommation en quantité importante (supérieures à 1g/kg de poids corporel) entraîne des ballonnements, des flatulences voire des diarrhées. Leur utilisation est interdite chez les enfants de moins de trois ans. Les produits en contenant plus de 10% doivent étiqueter la mention « une consommation excessive peut avoir des effets laxatifs ».
Les polyols induisent la voie de la glycolyse anaérobie et la formation de lactates.
Pour aller plus loin :
Dans le tractus gastro-intestinal, les récepteurs du goût sucré sont principalement situés sur les cellules entéro-endocrines L et K. Lors de la liaison par un ligand de sucres naturels aux récepteurs du goût sucré, les cellules L entéro-endocrines sécrètent le peptide-1 de type glucagon (GLP-1) et le peptide YY (PYY), tandis que les cellules K sécrètent le peptide insulinotrope glucose-dépendant (GIP). La libération harmonieuse de ces hormones au niveau intestinal est la conséquence de signaux nutritionnels sucrés « non édulcorés » via les T1R ou encore de signaux lipidiques tels que les "stéroïdes" biliaires, les acides gras notamment l’acide oléique ou encore les acides gras à chaînes courtes, les AGCC (ou SCFA) produits par le microbiote à partir des fibres alimentaires non digestibles.
Les incrétines (GLP-1 et GIP) et le peptide YY sont des entéro-hormones largement impliquées dans la régulation de la prise alimentaire (ces hormones sont capables de traverser la barrière hémato-encéphalique et d’atteindre le centre de la prise alimentaire afin d’induire un effet anorexigène) mais également dans la sensibilité à l’insuline et la régulation de la protéine kinase activée par l’AMP (AMPK senseur métabolique majeur au niveau cellulaire) pour les incrétines.
▶ ️ Le métabolisme glucidique est abordé plus en détail dans la deuxième journée du module de formation sur les maladies chroniques.
Ainsi sur le plan gastro-intestinal, les édulcorants intenses favorisent non seulement l'absorption de glucose en dehors de tout effet régulateur médié par les incrétines et autres entéro-hormones sur le métabolisme glucidique et la prise alimentaire ; mais de surcroît, en modifiant le microbiote, ils pourraient affecter indirectement la sensibilité et la sécrétion d'insuline (via la perturbation des AGCC ou encore l’augmentation des taux de LPS favorisant l’inflammation chronique et la résistance à l'insuline).
Conseil Nutrition n°1 : Favoriser les sucres naturels
Du fait du respect de la signalisation glucidique et de la présence de molécules bioactives (polyphénols), la plupart des études rapportent que le miel (sirop d’érable, d’agave etc.) limite le gain de poids, et plus particulièrement de la masse grasse, sans modification de l’apport énergétique ; de plus, le miel améliorerait la tolérance au glucose et la résistance à l’insuline ainsi que le profil lipidique plasmatique et hépatique (15) (16).
PHYSIOLOGIE DES COMPORTEMENTS ALIMENTAIRES ET DES ENVIES DE SUCRE
Peut-on parler de substance addictogène ?
La pulsion sucrée est un mécanisme adaptatif de survie lié aux critères énergétiques d’un aliment et dans une certaine mesure sur sa composition en protéines ; associée à une expérience agréable (contrairement à l'amertume qui peut avertir d'un danger sur le plan alimentaire) ce plaisir « originel » se développe in utéro, chez le fœtus qui déglutit à raison de 1 litre par jour d’un liquide amniotique riche en glucose.
Ce rapport au sucre est ensuite façonné par des facteurs éducationnel (familiarisation, interdiction), émotionnel mais surtout neurobiologique et métabolique.
Les effets centraux généraux du sucre et des édulcorants ont été étudiés grâce à l’imagerie fonctionnelle cérébrale.
Les auteurs montrent que le plaisir de la saveur sucrée est dépendant de l’activation de l’insula gauche à la fois pour le sucre et le sucralose. En revanche, le sucre induit une plus forte activation des aires dopaminergiques que le sucralose, témoignant d’une analyse différentielle de ces deux substances à saveur sucrée identique. De même, l’ingestion de glucose modifie l’activité de l’hypothalamus, mais celle d’aspartame, de saccharine ou encore de maltodextrines (glucides non sucrés), n’entraîne pas d’activation au niveau des régions associées au circuit de la récompense (17).
Selon les spécialistes, le sucre est une récompense naturelle dont le profil addictogène reste peu probable. Le sucre n’induit pas, à ce jour, une dépendance psychopharmacologique susceptible d’induire des « troubles de l’usage d’une substance » correspondant aux critères diagnostiques du dernier DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual, développé par l’Association américaine de psychiatrie, publié en 2018).
Le comportement de pulsion sucrée est essentiellement régulé par des mécanismes du centre de la prise alimentaire et implique dans une moindre mesure, le circuit de la récompense.
Les axes de régulation
La consommation accrue de produits sucrés relèverait d’un cercle vicieux impliquant la qualité de la perception hédonique mais également la plasticité neurogliale des circuits de la prise alimentaire.
Les chercheurs retrouvent différents facteurs psychophysiologiques d'installation :
Sur le plan développemental et éducationnel :
Une perception dysfonctionnelle précoce au niveau fœtal,
Une consommation chronique excessive de sucre à l’adolescence ; celle-ci « peut affecter le fonctionnement du cerveau d’un point de vue neurobiologique, avec un impact sur les processus cognitifs, motivationnels et émotionnels », confirme Martine Cador, directrice de recherche et responsable de l'équipe AddicTeam à l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine. Elle augmente par ailleurs les risques de syndrome dépressif et diminue la neurogénèse.
Des troubles du rassasiement conditionné, c’est-à-dire de l’apprentissage des quantités à consommer ou encore les interdits ou rapports culpabilisants à la notion de plaisir peuvent renforcer la réponse dysfonctionnelle. Des thérapies comportementales seront alors parfois nécessaires.
Sur le plan fonctionnel :
Une perte du signal hédonique médié par la dopamine peut être renforcée par des phénomènes de désensibilisation de la perception. Outre les déplétions (fréquentes chez les personnes âgées) en nutriments structurels décrits plus haut (zinc, cystéine) , un taux trop élevé de triglycérides dans le sang pourrait à terme provoquer une perception dysfonctionnelle corolaire des circuits de régulation associés.
Par ailleurs, les endocannabinoïdes, impliqués dans la recherche de nourriture et le plaisir alimentaire, sont des molécules lipidiques qui régulent au niveau central la prise alimentaire mais aussi, comme cela a été montré chez l’animal, renforcent les réponses des nerfs gustatifs périphériques au goût sucré (18). Leur équilibre, directement dépendant du profil en acides gras global pourrait donc être un paramètre majeur des circuits de régulation de la consommation sucrée.
▶️ Voir article sur le système endocannabinoïde, élément majeur de la signalisation lipidique - Volet 3
Sur le plan neurobiologique :
La sérotonine a également été considérée comme essentielle dans l’effet apaisant du sucre, mais la théorie sérotoninergique largement entretenue par les laboratoires de compléments alimentaires n’est qu’un signal partiel. Extrapolée à partir de l’effet antidépresseur de la sérotonine, de la superposition des envies de sucre de journée avec la chronobiologie de la sérotonine ou encore de l’effet potentialisateur de la sécrétion d’insuline sur la pénétration du tryptophane dans le cerveau, il y a finalement peu d’éléments scientifiques corroborant cette théorie. Rappelons, de plus, qu’il est difficile de distinguer un manque de sérotonine d’un véritable découplage sérotonine/NA sur le plan clinique et que systématiser la prise de compléments alimentaires à base de tryptophane ou de 5-HTP (Griffonia simplicifolia) n’est pas sans conséquence.
La perturbation des neuropeptides de la prise alimentaire est une approche largement plus documentée sur le plan des pulsions sucrées et alimentaires en général. En réalité, l’attrait pour un aliment sucré est rarement un phénomène ciblé ; l’aliment en question sera doté d’autres atouts de texture, de propriétés énergétiques ou lipidiques, d’exhausteurs de goût qui flattent notre système opioïde endogène : c'est la notion de palatabilité des aliments bien connue du secteur agroalimentaire.
Pour aller plus loin :
Au sein du noyau arqué, centre intégrateur de premier ordre dans la prise alimentaire, figurent les neurones à POMC (pro-opiomélanocortine), neuropeptide anorexigène majeur et précurseur des opioïdes endogènes telle que l’endorphine (effet orexigène). « On sait depuis 2004 que ce groupe de neurones est capable de changer la configuration de ses connexions en fonction du statut nutritionnel », explique Alexandre Benani, chercheur au Centre des sciences du goût et de l’alimentation à Dijon.
Cette plasticité neurogliale assure la modulation du comportement alimentaire et permet à l’organisme de maintenir une certaine homéostasie énergétique en s’adaptant aux conditions métaboliques et nutritionnelles variables.
Selon le chercheur, le repas va modifier les interactions entre les neurones POMC et les cellules voisines. « À jeun, ces neurones sont recouverts d’astrocytes, les cellules nourricières de neurones. Mais, après un repas, ces astrocytes vont se rétracter ».
Cette rétractation intimement liée à la plasticité neurogliale, est déclenchée par le pic de glycémie qui suit le repas, permettant la relance de l’activité des neurones à POMC et l’adaptation comportementale alimentaire.
Ce mécanisme est synergique à l’action des signaux périphériques anorexigènes médiés par les entérohormones sensibles aux apports énergétiques (PYY), aux carbohydrates (incrétines) mais également aux différents acides gras et acides biliaires (19).
Conseil Nutrition n°2 : Diversifier son alimentation
En matière de carbohydrate craving (ou compulsions sucrées), il semble que ce soient les régimes monotones qui induisent ces réactions (20). Ce qui nous amène à considérer ce trouble chez un patient comme un signe d’appel de "manque" d'autres paramètres nutritionnels à savoir le statut en protéines et acides aminés, le profil en acides gras (notamment oléique), la richesse et diversité en fibres prébiotiques (AGCC) (21).
▶ ️ Retrouvez plus d’informations sur les fondements d’une alimentation saine dans notre module de formation sur les bases de la nutrition.
CONCLUSION
Il est probable que les édulcorants artificiels puissent affecter l'équilibre énergétique, et donc le poids corporel, différemment des sucres naturels via des processus physiologiques sous-jacents comprenant le microbiote intestinal, le métabolisme glucidique et les circuits de la prise alimentaire.
En matière de troubles du comportement alimentaire, la notion de pulsion sucrée est un concept somme toute réducteur au profit d’un discours commercial.
Alors, avertis sur la complexité de sa biologie, si nous regardions l’envie de sucre en face sans vouloir la masquer à tout prix et surtout si nous entendions ce qu’elle essaie de nous dire ?
C'est l'histoire d'un arbre qui cache une forêt…souvent étiolée.
Formatrice en Santé environnementale, Nutrigénomique et Sciences des plantes médicinales
Co-Responsable pédagogique Oreka Formation
Co-Conceptrice de la Nutrition Fonctionnelle Adaptative
(1) Sylvetsky A, Jin Y, Clark E et al. Consumption of Low-Calorie Sweeteners among Children and Adults in the United States. J Acad Nutr Diet. 2017;117:441-448. 10.1016/j.jand.2016.11.004.
(2) Règlement (CE) N° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires. JO UE L 354/16 du 31.12.2008.
(3) ANSES. Evaluation des bénéfices et des risques nutritionnels des édulcorants intenses. Avis de l’Anses, Rapport d’expertise collective. Janvier 2015. 126p. Disponible sur : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2011sa0161Ra.pdf
(4) Czarnecka K, Pilarz A, Rogut A et al. Aspartame—True or False ? Narrative Review of Safety Analysis of General Use in Products. Nutrients. 2021;13(6):1957. doi:10.3390/nu13061957.
(5) https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/corporate_publications/files/factsheetaspartame-fr.pdf
(6) Maillet E L. Modulation of T1R chemosensory receptors for sweet nutrients. New paradigms in metabolic regulation. Med Sci (Paris) 2011 ; 27 : 177–182. doi :10.1051/medsci/2011272177.
(7) Cui M, Jiang P, Maillet E, et al. The heterodimeric sweet taste receptor has multiple potential ligand binding sites. Curr Pharm. 2006 ; 12 : 4591-4600. doi: 10.2174/138161206779010350.
(8) Yongan Yang, Yuangang Wei, Xiaonan Guo et al. Glycyrrhetic acid monoglucuronide: sweetness concentration–response and molecular mechanism as a naturally high-potency sweetener. Food Sci Biotechnol. 2019 Aug; 28(4): 1187–1193. doi: 10.1007/s10068-019-00559-y
(9) Keisuke Sanematsu, Yuko Kusakabe, Noriatsu Shigemura et al.Molecular Mechanisms for Sweet-suppressing Effect of Gymnemic Acids. J Biol Chem. 2014 Sep 12; 289(37): 25711–25720. doi: 10.1074/jbc.M114.560409.
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(13) Meghan B. Azad, Ahmed M. Abou-Setta, Bhupendrasinh F. Chauhan et al. Nonnutritive sweeteners and cardiometabolic health: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials and prospective cohort studies. CMAJ. July 17, 2017 189 (28) E929-E939; DOI: https://doi.org/10.1503/cmaj.161390.
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(21) Yue Ma , Risheka Ratnasabapathy, James Gardiner. Carbohydrate craving: not everything is sweet. Curr Opin Clin Nutr Metab Care. 2017 Jul;20(4):261-265. doi: 10.1097/MCO.0000000000000374.
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